
Les Arméniens en Egypte
L'Egypte de derrière les pyramides, l'Egypte des coulisses, l'Egypte à côté de laquelle la majorité des touristes passent sans la voir.
Le 27 Décembre 2022, je pars à l'aventure en Egypte. Le 6 janvier les Arméniens du Caire fêteront Noël et je souhaite aller à leur rencontre car je suis d’origine arménienne. Mais avant, je descendrai la vallée du Nil en voiture jusqu'au sud de Louxor avec 2 de mes enfants et ma copine journaliste d'Art, Florence Yeremian, qui, comme moi, n'a peur de rien.
Sur les routes en terre battue qui traversent d'innombrables villages, les gens nous font des signes d'amitié, les enfants rient. Les hommes sourient, surement étonnés de voir une femme européenne conduire dans des endroits où les femmes ne conduisent pas et où les touristes ne s'aventurent jamais. On s'arrête parfois pour acheter des oranges, des bananes et du pain frais, le pain baladi, une galette gonflée et chaude, qu'on remplit avec du fromage et des tomates. Je suis frustrée de ne pas pouvoir échanger en arabe. Mais les regards en disent long. Des regards curieux, toujours amicaux.
Nous n'avons rien prévu. Rien préparé. Nous sommes innocents, vierges de tout préjugé. On sait qu'on ne sait rien, on a donc tout à apprendre. Le vent nous poussera au hasard de nos intuitions. Nous voici donc, dès le jour de notre arrivée, traversant des kilomètres de zone désertique, de dunes magnifiques sous le soleil d’hiver déjà bas. Et soudain apparaît longeant cette route, un long ruban de hauts murs percés de croix, s’étirant paresseusement vers l’horizon. Au bout, la grande porte d’entrée d’un monastère Copte au milieu de deux hautes tours jaunes. Mirage ou miracle?




On frappe à cette porte. A tout hasard. Après quelques palabres, un jeune moine en robe noire est autorisé à nous faire visiter ce magnifique monastère occupé par 130 moines. Le lieu, si étendu que l'on doit le parcourir en voiture ou en moto, nous paraît désert. Le cadre est somptueux. Des montagnes rocheuses dominent des constructions ocres, jaunes, orangées, éparses dans ce vaste domaine. Les moines habitent dans de petits enclos qui enserrent de modestes cases individuelles. Plusieurs chapelles décorées de fresques magnifiques d’un style incomparable où les saints sont représentés avec des visages stylisés dans une harmonie de couleur pourpre orangée, une grande église. Quelques cultures au loin vers un point d'eau pour assurer leur subsistance. Un lieu hors du temps, en plein désert jaune, où règne un silence absolu. Le moine qui nous guide est de Assiut. Une grande ville vers laquelle nous nous dirigerons. Il nous apprend qu’il y a un autre monastère copte vers Assiut. Voici donc notre prochaine destination : On va y aller.




On y arrivera vers 22h. Il fait nuit depuis longtemps. On a dû traverser une myriade de villages extrêmement animés, une circulation très dense, des charrettes tirées par des ânes, des vélos, des moutons, des chiens, une floppée de tricycles bruyants et audacieux, beaucoup d’hommes enturbannés en longues robes couleur d’argile vert ou gris, vaquent à leurs occupations ou flânent oisifs, quelques femmes voilées portent des bassines remplies en équilibre sur leur tête. On passe de nombreuses mosquées. Les minarets scintillent comme des cierges de néon blancs et verts dans la nuit noire. Et les routes sont un vrai challenge permanent: des trous, des dos d'âne de folie, des bosses. En Egypte, même les voies rapides peuvent être prises à contre sens. On se fait doubler par la droite, la gauche, les deux côtés à la fois, le tout dans une joyeuse cacophonie. La queue de poisson est un jeu national. J'ai en permanence l'appareil photo sur les genoux. Je tiens le volant d'une main. Souvent je déclenche, le spectacle qui défile est fascinant.




Et puis, brutalement, tout se calme. On quitte soudain l’effervescence et la route de campagne déserte se trouve alors bordée de deux énormes murailles et au bout, nous faisant face: un gigantesque portail flanqué de deux hautes tours au sommet desquelles deux croix illuminent la nuit comme un phare. On a enfin trouvé le monastère de la Vierge Marie, Al Muharraq. On n'a aucune idée sur le lieu où les caprices et fantaisies de google maps nous ont conduits, quels détours nous a-t-il fait prendre? Mais, après plusieurs heures de route, on est enfin devant la citadelle. Il va falloir y rentrer.
Tous les monastères en Egypte ainsi que les églises chrétiennes bénéficient d’une protection assurée par le gouvernement. Dans les années 90 sous le régime de Moubarak mais plus récemment sous la présidence de Morsi du parti des frères musulmans, les coptes ont traversé une période d’une grande violence avec des attentats graves dans des églises mais aussi des attaques meurtrières sur des bus transportant des fidèles. Depuis, le calme est revenu mais la protection demeure. On ne peut donc accéder à l’intérieur des monastères qu’après avoir passé par des contrôles, une voiture de police stationne devant jour et nuit.
Arriver en pleine nuit est totalement incongru. Mais une bonne étoile nous suit : au même moment, l’évèque Begol, l’abbé responsable de tout le monastère rentrait également en voiture. On a pu se présenter à lui et il nous a immédiatement accordé l’asile pour la nuit dans le respect absolu des traditions ancestrales d’accueil du pèlerin. Sans poser d’autres questions, il a donné l’ordre de nous laisser entrer dans ce lieu d’exception. Deux enceintes de murailles protègent le cœur du monastère où se trouvent chapelles, églises, et lieux saints. Le calme règne. C’est vaste mais désert. On nous conduit dans un bâtiment de plusieurs étages, impeccable. Un grand moine barbu nous prépare avec gentillesse un repas dans une cuisine immaculée: du pain et du foul, un plat traditionnel d’haricots rouges. Puis un jeune garçon souriant nous conduit à une petite chambre décorée d’images pieuses.
Au matin très tôt, la surprise. Le monastère s’est éveillé et fourmille gaiement. Les grandes portes se sont ouvertes et laissent entrer les villageois. Un vendeur de journaux, des charrettes débordant de marchandises tirées par des ânes, des familles, des enfants, des vieillards s’appuyant sur un bâton, quelques moines qui déambulent et que les hommes et femmes saluent avec le plus profond respect en leur baisant la main. Comment décrire cette animation sereine? Un baptême a lieu dans une des églises, des enfants partout, des fidèles chrétiens que rien ne distingue des égyptiens musulmans. Je circule en toute liberté dans le monastère. Cette animation toute médiévale est d’un autre temps, seuls les portables omniprésents nous rappellent à la réalité.


Un moine nous rejoint et nous fait la visite. Il s’appelle Lazarus, le nom biblique qu’il a reçu à son ordination. Nous apprenons que nous sommes dans les lieux où Jésus, fuyant en Egypte les massacres des Innocents à Jérusalem se serait installé avec Marie et Joseph à cet endroit précis. Une « Sainte-Chapelle » du désert y a été construite au IVe siècle faisant de ce monastère le plus ancien monastère au monde. Les fidèles viennent s’y recueillir avec une émotion visible. Ensuite sont arrivés à Al Muharraq plusieurs centaines d’enfants à qui l’évêque copte Begol décerne un prix pour récompenser leur excellent travail scolaire.
Notre visite impromptue de ces deux monastères se poursuivra avec autant d’improvisation au Monastère Blanc de Sohag et au monastère Saint-Paul près de la mer rouge. Dans ces monastères, les moines ont confirmé par la qualité et la générosité de leur accueil, leur sens de l’hospitalité hors du commun. Dans ces lieux, nous avons assisté à des offices plein de mystères en langue copte, la langue liturgique. Nous avons constaté la même ferveur, la profonde croyance dans les miracles, le poids de traditions ancestrales, la beauté des icônes et des fresques, la confiance dans l’avenir et la certitude, pour ces moines coptes, descendants des premiers habitants de l’Egypte antique, d’accomplir un travail divin.
Mais en Egypte, il n’y a pas que des Coptes : ainsi au cours de notre périple, nous avons échangé avec des gardiens de temples antiques. Tels les pyramides et le Sphinx, imperturbables, ils contemplent et observent le défilé des milliers de touristes. Enfin, après 2500 km de route, nous retournons au Caire en longeant la mer rouge : les villages de vacances, resorts construits ou en état futur d’achèvement se succèdent sans répit, puis laissent la place aux derricks et aux camions colorés dont les phares éclairent le sable jaune qui envahit la route et le paysage.
Au Caire, nous avons rencontré des Arméniens qui y vivent depuis plusieurs générations. Les Arméniens d’Egypte sont un modèle d’intégration réussie commencée dès le moyen âge, avec, au 19ème siècle, un premier ministre Arménien, Nubar Pacha. Ils font partie intégrante de la société égyptienne. Les églises sont pleines et de nombreux clubs animent la vie communautaire. Le 6 janvier, Noël Arménien, la splendide église arménienne Saint-Grégoire l’Illuminateur, accueille une foule de fidèles mais aussi de nombreux dignitaires religieux coptes et musulmans ainsi que des représentants du gouvernement égyptien.




Le Caire est une ville qu’on commence par détester avant d’en tomber sous le charme. Polluée, peuplée, bouillonnante, multiple, laide et splendide, avec des couchers de soleil somptueux qui rappellent que les mers de sable ne sont pas très loin: un paradis pour les photographes. On s’est payé le privilège de se perdre dans la Cité des Morts au crépuscule. Un joyau de l’Art Islamique, un lieu où les morts sont y plus nombreux que les vivants. Un havre de tranquillité dans cette ville tumultueuse et bruyante. Les tombeaux rivalisent de fascinante beauté, avec des portes de caractère, toutes uniques, des inscriptions en arabe, des volutes, des arabesques. Les murs lézardés, le dédale de rues envahies par l’herbe folle et parcourues par de rares passants rajoutent au charme mystérieux de cet endroit extraordinaire. Voici donc en quelques mots le récit de retrouvailles avec un pays envoutant.



